J’ai suivi le parcours de la dame depuis des années, et je retrouve dans son œuvre quelques points communs : depuis le début, elle manifeste un certain plaisir du détournement, de la récupération d’objets perdus, oubliés, inutiles ou futiles…
D’abord des vieux courriers, des factures périmées, des publicités anciennes, des morceaux de dessin et maintenant des vieux fils, des racines desséchées, ensuite on peut remarquer chez elle une certaine fascination de l’image, du reflet qui se déforme et s’éloigne de l’original pour devenir lui-même un objet neuf, AUTRE.
Depuis le début, elle joue sur ces deux tableaux là et met ses couleurs sur des objets en principe oubliés, morts. S’il y a un fil directeur, il est là.
Peut-être est-ce là une des faces de l’art : défier la mort, la mettre en échec symbolique, jouer avec pour la déjouer ?
Elle-même voit cependant l’art plus simplement que cela : pour elle, ce ne serait qu’une sorte de clef, un moyen d’ouvrir des portes, de créer des ouvertures, des boulevards même, et de créer des liens. Entrer en lien avec des ficelles ? Tiens tiens…
Pour elle, l’art est une manière de rêver, et elle ne trouve pas cela vraiment sérieux, elle qui veut uniquement nous entraîner dans ses rêves. Expliquer ses rêves, les vôtres ?
Mais les nouveaux éclairages, cela lui plait : aller à la base des choses, creuser jusqu’à la racine, puis en donner une autre vue, une seconde lecture, puis une troisième…
On marche il est vrai sur beaucoup de choses enterrées, qu’on ne voit même pas, et lorsqu’on les déterre et les regarde, on pense à autre chose en les voyant, par simple association d’idées, par effet miroir de notre imagination.
Le miroir inverse les choses… Prenons le mort et le vivant : la terre, demeure des morts, est remplie de racines bien vivantes. Arrachez ces racines et elles meurent… leurs poses figées, tordues sont alors bien celles de la mort.
Mais la couleur leur redonne une vie.
Mettre en lumière dessèche donc et tue, et mettre en couleurs suscite, ou ressuscite. Le vivant a alors l’air mort, et le mort semble vivant.
La mort est le domaine de l’ombre et le vivant celui de l’image.
Mais c’est quoi une ombre ? Etre l’ombre de soi-même, qu’est ce donc ? Sans y toucher, on parle là du visible et de l’invisible, de l’unique et de l’infini.
Car pour un seul objet, nous avons une infinité d’ombres possibles, qui changent et bougent avec la lumière. L’ombre a donc sa propre vie, même l’ombre d’un objet mort.
L’image d’un objet par ailleurs est aussi un objet, qui possède donc sa propre ombre.
Cette image est épinglée comme un insecte très fragile, aussi fragile peut être qu’une racine desséchée, entourée de minces fils de couleurs.
C’est fugace tout cela… Tout ne tient qu’à un fil finalement, comme nos vies, Monsieur.
Le fil est ce qui compte, le lien. Faut créer du lien, et cela ne s’achète pas, ne se vend pas.
Le fil est récupéré, donné, recyclé. Réinventé.
C’est tout un art.
Mauro Baccarini